Fatwa des savants de l’Iftâ sur l’Irjâ

Fatwa des savants de l’Iftâ sur l’Irjâ

 

 

Louange à Allah, et que les éloges et le salut d’Allah soient sur le dernier des Prophètes…

Le comité permanent des savants chargé des recherches et des avis juridiques a pris connaissance des nombreuses questions posées à son éminence le Mufti général pour une fatwa du comité général de l’organisation des grands savants sous les numéros : n°5411 daté du 7/11/1420 de l’Hégire, n°1026 daté du 17/2/1421, n°1016 daté du 7/2/1421, n°1395 daté du 8/3/1421, n°1650 daté du 17/3/1421, n°1893 daté du 25/3/1421, et n°2106 daté du 7/4/1421.

 

La question est :

   « Il est apparu ces derniers temps, de façon effrayante, une idéologie nommée Al-Irjâ [1], que beaucoup d’auteurs ont entrepris de  propager. Ils s’appuient pour cela sur des citations tronquées de Shaykh Al-Islam Ibn Taymiyyah, ce qui a eu pour conséquence de jeter dans la confusion beaucoup de gens concernant la définition de Al-Îmân (la foi), vu que ces personnes répandant cette pensée cherchent à exclure les œuvres de la définition de Al-Îmân. Ils prétendent que celui qui délaisse l’ensemble des œuvres sera tout de même sauvé de l’Enfer. Cela pousse les gens à tomber dans les choses répréhensibles, comme l’association ou l’apostasie, à partir du moment où ces personnes, en se basant sur cette idéologie, pensent que Al-Îmân leur est assuré, même s’ils n’accomplissent pas les obligations, ne délaissent pas les interdits, et n’œuvrent selon aucun des préceptes de l’Islam. Il n’y a aucun doute que cette idéologie comporte un danger certain contre les sociétés muslims et ce qui concerne les questions de croyance (cAqîdah) et d’adorations.

Nous espérons donc que vous fassiez lumière sur la réalité de ce mouvement de pensée et ses effets néfastes, que vous dévoiliez la vérité basée sur le Coran et la Sunna au sujet de Al-Îmân, et enfin que vous rétablissiez la vérité concernant les propos imputés à Shaykh Al-Islam Ibn Taymiyyah afin que les muslims connaissent leur religion avec clairvoyance. Qu’Allah vous accorde le succès et vous guide dans le droit chemin.

 

Après étude du comité chargé des avis juridiques, voici sa réponse :

   Les propos cités sont ceux des Murjiahs, ceux qui excluent les œuvres de la définition de Al-Îmân (la foi) et disent : Al-Îmân est seulement l’approbation (at-tasdîq) du cœur. Ou bien : l’approbation du cœur et la prononciation (des attestations) avec la langue. Quant aux œuvres, elles sont seulement une condition pour parfaire la foi, mais n’en font pas partie. Donc, pour les Murjiahs, quiconque reconnaît avec son cœur et atteste avec sa langue est un croyant à la foi complète, quelles que soient les obligations qu’il délaisse et les péchés qu’il commet. Et il mérite d’entrer au Paradis, même s’il n’a jamais fait aucun bien.

 

   Cet égarement implique des choses vaines, telles que : restreindre la mécréance au fait de démentir (Allah et Son Prophète), et au fait de juger licite ce qu’Allah a unanimement rendu illicite. Il n’y a aucun doute que cette parole est vaine et est un égarement manifeste contredisant le Coran, la Sunna, et la position des gens de la Sunna et du Consensus (Ahl as-sunna wal-jamâcah) par le passé comme dans le présent. Et cela ouvre une porte aux personnes mauvaises et perverses les incitant à se détacher de la religion et à ne pas agir en conformité avec les ordres et les interdictions, sans peur ni crainte d’Allah (تعالى). Il implique également la suspension du Jihâd dans le sentier d’Allah, ainsi que le fait d’ordonner le bien et d’interdire le blâmable. Et il met sur un plan d’égalité au niveau de la foi le pieux et le dépravé, l’obéissant et le transgresseur, la personne suivant avec droiture la religion d’Allah et le pervers qui n’observe pas les obligations et interdictions de l’Islam, du moment que leurs actes ne portent pas préjudice à leur foi, comme ils le prétendent.

   C’est pour cela que les savants, dans le passé et aujourd’hui, se sont occupés de démontrer l’invalidité de cette voie et de réfuter ses adeptes. Ils ont ainsi consacré à cette question des chapitres spécifiques dans les livres traitants de la croyance. Bien plus, ils ont écrit des ouvrages indépendants traitant de ce sujet, comme l’a fait Shaykh Al-Islam Ibn Taymiyyah – qu’Allah lui fasse miséricorde – ainsi que bien d’autres.

 

Shaykh Al-Islam Ibn Taymiyyah – qu’Allah lui fasse miséricorde – dit dans son livre « al-cAqîda al-Wâssitiyyah » :

   « Il fait partie des fondements des gens de la Sunna et du Consensus (Ahl as-sunna wal-jamâcah) que la religion et la foi sont paroles et oeuvres : paroles du cœur et de la langue, et oeuvres du cœur, de la langue et des membres, et que la foi augmente avec l’obéissance et diminue avec la désobéissance. »

 

Et dans le livre « Kitâb al-Îmân (le livre de la foi) », il dit :

   « Ce chapitre traite des propos des pieux prédécesseurs (as-Salaf) et des savants de la Sunna concernant la définition de la foi (Al-Îmân). Ils disent parfois : « (La foi est) paroles et oeuvres ». Et d’autres fois : « Elle est paroles, oeuvres et intention ». Ou bien : « Paroles, oeuvres, intention, et conformité à la Sunna ». Ou encore : « Paroles prononcées par la langue, croyance du cœur et oeuvres des membres ». Et tout cela est juste. »

Il dit aussi – qu’Allah lui fasse miséricorde – :

   « Les pieux prédécesseurs (as-Salaf) ont fortement récusé les Murjiahs lorsque ces derniers ont exclu les oeuvres de la foi. »

 

Il n’y a aucun doute que leur propos concernant l’égalité de la foi chez les gens est une grossière erreur. Bien au contraire, les gens ne sont pas sur un même pied d’égalité dans leur approbation, ni dans leur amour, leur crainte, leur science… Ils se différencient plutôt sur bien des aspects.

 

Il dit aussi – qu’Allah lui fasse miséricorde – :

« En ce qui concerne ce fondement, les Murjiahs se sont détournés de ce que mettent en évidence le Coran, la Sunna et les dires des Compagnons et ceux qui les suivent dans le bien. Ils se sont appuyés sur leurs opinions erronées et sur leur interprétation, selon ce qu’ils ont compris de la langue arabe, et cela est la voie des gens de l’innovation. » Fin des propos de Shaykh Al-Islam Ibn Taymiyyah.

 

Voici quelques preuves montrant que les œuvres font partie intégrante de la réalité de la foi et entraînent son augmentation ou sa diminution. Allah (تعالى) dit :

 

 إِنَّمَا الْمُؤْمِنُونَ الَّذِينَ إِذَا ذُكِرَ اللَّهُ وَجِلَتْ قُلُوبُهُمْ وَإِذَا تُلِيَتْ عَلَيْهِمْ آيَاتُهُ زَادَتْهُمْ إِيمَانًا وَعَلَى رَبِّهِمْ يَتَوَكَّلُونَ(2) الَّذِينَ يُقِيمُونَ الصَّلاَةَ وَمِمَّا رَزَقْنَاهُمْ يُنْفِقُونَ (3) أُولَئِكَ هُمُ الْمُؤْمِنُونَ حَقًّا 

« Les vrais croyants sont ceux dont les cœurs frémissent quand on mentionne Allah. Et quand Ses versets leur sont récités, cela fait augmenter leur foi. Et ils placent leur confiance en leur Seigneur. Ceux qui accomplissent la prière et qui dépensent [dans le sentier d’Allah] de ce que Nous leur avons attribué. Ceux-là sont les vrais croyants. »[2]

 

Et Allah (تعالى) dit :

قَدْ أَفْلَحَ الْمُؤْمِنُونَ (1) الَّذِينَ هُمْ فِي صَلاتِهِمْ خَاشِعُونَ (2) وَالَّذِينَ هُمْ عَنِ اللَّغْوِ مُعْرِضُونَ (3) وَالَّذِينَ هُمْ لِلزَّكَاةِ فَاعِلُونَ (4) وَالَّذِينَ هُمْ لِفُرُوجِهِمْ حَافِظُونَ (5) إِلا عَلَى أَزْوَاجِهِمْ أوْ مَا مَلَكَتْ أَيْمَانُهُمْ فَإِنَّهُمْ غَيْرُ مَلُومِينَ (6) فَمَنِ ابْتَغَى وَرَاءَ ذَلِكَ فَأُولَئِكَ هُمُ الْعَادُونَ (7) وَالَّذِينَ هُمْ لأَمَانَاتِهِمْ وَعَهْدِهِمْ رَاعُونَ (8)وَالَّذِينَ هُمْ عَلَى صَلَوَاتِهِمْ يُحَافِظُونَ 

« Bienheureux sont les croyants, ceux qui sont humbles dans leur prière, se détournent des futilités, s’acquittent de la Zakât, et préservent leurs sexes [de tout rapport], si ce n’est qu’avec leurs épouses ou les esclaves qu’ils possèdent, car là vraiment, on ne peut les blâmer – alors que ceux qui cherchent [à assouvir leurs désirs] au-delà de ces limites sont des transgresseurs – et qui veillent à la sauvegarde des dépôts qui leur sont confiés et honorent leurs engagements, et qui observent strictement leur prière. »[3]

 

Et le Prophète (صَلَّى اللَّهُ عَلَيْهِ وَسَلَّمَ) a dit : « Al-Îmân est composé de soixante-treize branches ou un peu plus. La plus élevée étant le fait d’attester qu’il n’y a de divinité digne d’adoration qu’Allah (Lâ ilâha illa Allah), et la plus basse étant de retirer de la route ce qui peut nuire à autrui. Et la pudeur est une branche de Al-Îmân. »

 

Shaykh Al-Islam Ibn Taymiyyah – qu’Allah lui fasse miséricorde– dit aussi dans le livre « Kitâb Al-Îmân » :

 

« Le fondement de la foi (Al-Îmân) est dans le cœur : elle est la parole du cœur et ses œuvres. C’est l’attestation (al-iqrâr) accompagnée d’approbation (at-tasdîq), d’amour et de soumission. Il faut donc obligatoirement que les implications de ce qu’il y a dans le cœur se manifestent par les membres. Et si la personne n’œuvre pas selon ce que la foi nécessite et implique, cela indique sa faiblesse, voire son absence. C’est pour cela que les oeuvres apparentes font partie de la manifestation de ce qu’il y a dans le cœur, en attestent, en sont une preuve et en témoignent. Les oeuvres sont une branche ou une partie de la foi complète. »

Il dit également :

 

« Quiconque observe la définition de Al-Îmân selon les Khawârijs et les Murjiahs se rendra forcément compte qu’elle est en contradiction avec ce qu’a apporté le Prophète (صَلَّى اللَّهُ عَلَيْهِ وَسَلَّمَ). Nous savons de façon notoire que l’obéissance à Allah et à Son Messager contribue à la perfection de la foi, et qu’une personne ne devient pas mécréante en commettant un péché. Si l’on supposait que des gens avaient dit au Prophète (صَلَّى اللَّهُ عَلَيْهِ وَسَلَّمَ) : « Nous croyons en ce avec quoi tu es venu avec nos cœurs sans aucunement en douter, et nous reconnaissons avec nos langues les deux attestations. Sauf que nous ne t’obéirons dans aucune chose, ni dans ce que tu as ordonné ni dans ce que tu as interdit. Nous ne prierons donc pas, ne jeûnerons pas, n’accomplirons pas le pèlerinage, nous ne délaisserons pas le mensonge, ne restituerons pas les dépôts, ne respecterons pas nos engagements, n’entretiendrons pas les liens de parenté, n’accomplirons aucun des actes de bien que tu nous as enjoints, boirons de l’alcool, forniquerons ouvertement avec des femmes qui nous sont interdites, tuerons ceux qu’il nous est possible de tuer parmi tes compagnons et ceux de ta communauté et prendrons leurs biens, et, bien plus, nous serons au côté de tes ennemis pour te combattre et te tuer aussi ! ». Est-ce qu’une personne sensée peut s’imaginer un seul instant que le Prophète (صَلَّى اللَّهُ عَلَيْهِ وَسَلَّمَ) leur dise : « Vous êtes des croyants à la foi complète, et de plus vous faites partie des gens méritant mon intercession le Jour de la Résurrection, et il y a bon espoir qu’aucun d’entre vous n’entre en Enfer ?! » N’importe quel muslim sait forcément qu’il leur dirait plutôt : « Vous êtes les personnes qui mécroient le plus en ce avec quoi je suis venu », et qu’il les condamnerait à mort s’ils ne se repentaient pas.) Fin de citation.

Il dit également :

« Si le terme Îmân  est cité seul dans le Coran et la Sunna, il a alors le même sens que les termes bonté (al-birr), piété (at-taqwâ) et religion (ad-dîn), comme mentionné précédemment. Le Prophète (صَلَّى اللَّهُ عَلَيْهِ وَسَلَّمَ) a montré que Al-Îmân était composé de soixante-treize branches ou un peu plus, la meilleure étant le fait d’attester qu’il n’y a de divinité digne d’adoration qu’Allah (Lâ ilâha illa Allah), et la plus basse étant de retirer de la route ce qui peut nuire à autrui. Donc, tout ce qu’Allah aime entre dans l’appellation de Al-Îmân. De même que tout cela entre dans l’appellation de la bonté (al-birr) si elle est citée seule. Il en est également de même pour le terme piété (at-taqwâ) et religion (ad-dîn), ou religion de l’Islam (dîn al-Islam).

Il a été rapporté que lorsqu’ils interrogèrent au sujet de Al-Îmân, Allah (تعالى) révéla le verset :

…لَيْسَ الْبِرَّ أَنْ تُوَلُّوا وُجُوهَكُمْ

« La bonté pieuse (al-birr) ne consiste pas à tourner vos visages vers le Levant ou le Couchant. Mais la bonté pieuse est de croire en Allah, au Jour dernier, aux anges, au Livre et aux prophètes, de donner de ses biens, quelqu’amour qu’on en ait, aux proches, aux orphelins, aux nécessiteux, aux voyageurs indigents et à ceux qui demandent l’aide et pour délier les jougs, d’accomplir la Salât et d’acquitter la Zakât. Et ceux qui remplissent leurs engagements lorsqu’ils se sont engagés, ceux qui sont endurants dans la misère, la maladie et quand les combats font rage, les voilà les véridiques et les voilà les vrais pieux ! »[4]

 

Puis il dit :

« Ce que l’on retient ici est qu’Allah a fait l’éloge de Al-Îmân seulement s’il était accompagné d’oeuvres, et non pas de Al-Îmân dépourvu d’oeuvres. »

Tels sont les propos de Shaykh Al-Islam Ibn Taymiyyah concernant Al-Îmân. Et quiconque rapporte de lui autre que cela a certes menti à son sujet.

Quant à ce qui est rapporté dans le hadith concernant des gens qui entreront au Paradis sans jamais avoir fait quelque bien : il convient de savoir que ce hadith ne s’applique pas à ceux qui ont abandonné toute œuvre alors qu’ils avaient la possibilité (d’agir en bien). Il concerne seulement ceux qui ont une excuse les ayant empêchés d’œuvrer. Il existe aussi d’autres interprétations valides concordant avec les textes clairs (du Coran et de la Sunna) et le consensus des pieux prédécesseurs sur cette question.

Le comité permanent des savants de l’Iftâ, après cet éclaircissement, met en garde contre toute polémique concernant les bases de la croyance (Al-cAqîdah) à cause des graves dangers qui peuvent en découler.

Le comité conseille aussi de revenir aux livres de ceux qui suivent le Coran et la Sunna avec la compréhension des pieux prédécesseurs et met en garde quant au fait de se référer aux ouvrages s’y opposant, ainsi qu’aux livres récemment écrits par des personnes se prenant pour des savants et qui n’ont pas pris la science de ceux qui la possèdent réellement, ni de ses références de base. Ils ont dédaigné les propos des vrais savants concernant ce fondement capital, le fondement de la foi, ont adopté la voie des Murjiahs et l’ont imputée injustement à Ahl as-sunna wal jamâcah, jetant ainsi les gens dans la confusion. Ils se sont outrageusement appuyés sur des propos de Shaykh Al-Islam Ibn Taymiyyah – qu’Allah lui fasse miséricorde – ainsi que d’autres grands savants parmi les pieux prédécesseurs en rapportant d’eux des citations tronquées, ainsi que des propos ambigus, sans se référer aux textes clairs (sans équivoques).

Nous leur conseillons de craindre Allah, de revenir à la raison et de ne pas diviser les rangs des muslims avec cet égarement.

Le comité met également en garde les muslims contre le fait de se laisser duper et de tomber dans le piège de ceux qui s’opposent à Ahl as-sunna wal jamâcah.

Qu’Allah accorde à tous la science bénéfique et les œuvres pieuses ainsi que la bonne compréhension de la religion.

Que les éloges et le salut d’Allah soient sur notre Prophète Muhammad, sa famille et ses compagnons.

Le comité permanent chargé des recherches et des avis juridiques :

 

Le président :

cAbd AlcAzîz Ibn cAbd Allah Ibn Muhammad Âl As-Shaykh.

 

Membre :

cAbd Allah Ibn cAbd Al-Rahmân Al-Ghudayân.

 

Membre :

Sâlih Ibn Fawzân Al-Fawzân.

 

Membre :

Bakr Ibn cAbd Allah Abû Zayd.

 

[1] NdT : L’idéologie de Al-Irjâ exclut les œuvres de la définition de Al-Îmân (la foi).

[2] Sourate Al-Anfâl, v.2-4.

[3] Sourate Al-Mu’minûn, v.1-9.

[4] Sourate Al-Baqarah, .177.

Source : Fatâwa de l’Ifta

Traduit par Samîr Abû Bilâl Al-Jazâ-irî pour Dammaj-fr.com

Le 8 Rajab 1437.H  correspondant au 16/04/2016

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